Ce rapport présente en détails le
travail de l'association Instance de Solidarité avec les Immigrés Asiatiques
(ISIA)[1]
en faveur des travailleurs asiatiques migrants au Maroc, notamment leur
plaidoyer et la mise en œuvre d'un réseau de soutien unique alors que leur
emploi en tant que travailleurs du secteur domestique ou de service, couplé à
un manque de statut d'immigration au Maroc, les rend particulièrement
vulnérables à la traite des êtres humains et à d'autres formes d'exploitation.
ISIA a réussi, malgré un climat adverse, à tenir les autorités nationales et
internationales responsables de violations persistantes des droits de l'homme.
En posant la question: pourquoi l'ISIA est-elle en mesure d'apporter un soutien
efficace et pertinent aux personnes marginalisées, cette étude vise à faciliter
la réflexion sur le point d’interaction entre les systèmes de migration et des organisations
locales, et à explorer les types d'intervention qui pourraient davantage
réduire, voire éliminer l'incidence de la traite des êtres humains au sein de cette
population.
En utilisant Facebook et son
application Messenger associée, ISIA a établi un réseau social par lequel les
travailleurs asiatiques migrants géographiquement dispersés restent en contact
les uns avec les autres en utilisant des langages familiers tels que l'anglais,
l'indonésien ou le tagalog. Ce réseau permet aux victimes de l'exploitation flagrante
d'être identifiées, conseillées, et de solliciter l'aide de l'ISIA – qui
facilite leur sortie des foyers ou elles ont été abusées, qui offre un refuge
pendant des semaines voir des mois au foyer de l'ISIA à Salé (la ville jumelle de
Rabat, la capitale du Maroc), et qui formule un plaidoyer pour la récupération
de leurs passeports, saisis par les employeurs. L’ISIA fournit aussi l'accès
aux services locaux, nationaux et internationaux, y compris les services de
police, de santé, et des services consulaires, y compris le rapatriement grâce
à ses contacts avec l'Organisation Internationale pour les Migrations. Ces
services sont fournis de manière bénévole, sans frais pour les victimes
d'exploitation ou de traite des êtres humains. Il y a en moyenne entre 5 et 10
travailleuses migrantes hébergées au refuge de l'ISIA, qui ont fui des
conditions de travail brutales, mais qui ne peuvent pas quitter le Maroc tant
que leurs passeports ne sont pas resitués.
Le Maroc est un pays de
destination pour les travailleurs migrants des pays asiatiques tels que
l'Indonésie et les Philippines, dont les ressortissants n'exigent pas de visa
pour entrer dans le pays. Le visa touristique permet des séjours de 3 mois. Les
personnes séjournant plus longtemps doivent demander un titre de séjour, cependant
aucun statut n’est prévu pour les travailleurs domestiques asiatiques.
Toutefois, il existe une forte demande par les Marocains aisés pour les
travailleurs domestiques asiatiques (ainsi que pour les chefs du secteur des
restaurants) qui jouissent d’une excellente réputation (compétences en
anglais). Cette demande, en l'absence d'un système réglementaire officiel
régissant le travail des travailleurs migrants asiatiques, a généré la mise en
place d’un système non réglementé par les autorités.
L’appel d’offre pour le travail
domestique au Maroc se fait en ligne par le biais des réseaux sociaux où les
travailleurs sont attirés par l'absence des frais d'agence qui sont
généralement imposés par d’autres pays d’accueil plus réglementés comme Hong
Kong ou Singapour. Le recrutement est assuré par des organismes sans statut
juridique et sans conformité au code du travail marocain, qui facilitent leur
sortie de pays, par exemple les Philippines, en leurs fournissant des documents
falsifiés. Ensuite, le travailleur domestique se trouvent piégé dans son pays
d’accueil puisque le passeport sont confisque soit par l’employeur, soit par
l’agence, sous des prétextes fallacieux. Les travailleurs domestiques ne sont
souvent même pas conscients qu’ils sont tombés dans un statut de migrants sans
papiers.
Les employeurs marocains paient à
l'agence des honoraires ainsi que les frais de voyage du travailleur. La
pratique de tromper le travailleur domestique sur son droit au travail et son
droit à conserver son passeport, ainsi que la pratique de non-paiement des
salaires et les menaces de violence, rentrent dans la définition de la « traite
des personnes » telle qu'elle est énoncée à l'article 3 (a) du Protocole
Additionnel à la Convention des Nations Unies contre la Criminalité Transnationale
Organisée Visant à Prévenir, Réprimer et Punir la Traite des Personnes[2].
Cette pratique est toutefois répandue et même tolérée par les autorités
marocaines[3].
Pourtant, le paysage migratoire a évolué: en 2014, le Maroc a mis en œuvre une
nouvelle politique sur l'asile et l'immigration, connue sous le nom de « nouvelle
politique migratoire » (NPM), qui a permis de reconnaître officiellement
des dizaines de milliers d'subsahariens jusque-là des migrants sans
papiers. En conséquence, le Maroc a été
reconnu internationalement, et a accueilli la conférence intergouvernementale
des Nations Unis pour l’adoption du Pacte mondial sur les migrations sûres,
ordonnées et réguliers en 2018. Toutefois, l'absence continue de réglementation
couvrant l'emploi des travailleurs domestiques asiatiques – qui demeurent sans
papiers – reste un facteur négatif qui engendre la traite des êtres humains
dans le pays.
ISIA a été fondée par Hayat Baraho
et son mari Ismail El Ammari, deux professionnels de santé à l'hôpital de Salé.
Parlant couramment anglais, Hayat a travaillée comme infirmière au Moyen-Orient
où elle a été exposée pour la première fois aux difficultés des travailleurs
migrants asiatiques. Ayant déjà mené les
efforts d'organisation des travailleurs domestiques asiatiques au sein d’un
syndicat, Hayat a été particulièrement touchée par le traitement du
gouvernement marocain réservé aux travailleurs domestiques asiatiques suite à
l'introduction du NPM, leur statut restant extrêmement précaires et sans protections
contre l'exploitation et la traite des êtres humains. En tant que ressortissant
marocain avec un réseau solide de relations au sein de sa communauté, Hayat a pu
obtenir des résultats qui auraient été impossibles à réaliser par le biais des
travailleurs migrants asiatiques eux-mêmes. En tant que telle, l'ISIA facilite
l'accès au transport vers le foyer d’accueil et les soins de santé, et signale
les cas de traite des êtres humains aux autorités policières et judiciaires.
Depuis 2012, Hayat a facilité la
restitution de dizaines de passeports confisqués et le rapatriement des
victimes. En tant que femme, elle est en mesure d'établir une relation honnête
et confiante avec la population principalement féminine de travailleurs
domestiques asiatiques, et elles sont à leur tour en mesure de partager leurs expériences
d'abus et d'exploitation qui, autrement, resteraient étouffés. En tant que
leader, Hayat maintient un accès direct aux personnes influentes dans les
structures institutionnelles du Maroc, y compris la CNDH, les ministères et les
ambassades, ainsi que le mouvement syndical.
L'ISIA est à un stade critique et
l'organisation a besoin d'un soutien pour développer:
- La prestation de services pour les cas d'abus et de traite des êtres humains;
- La sensibilisation et protection des droits de l'homme des travailleurs domestiques asiatiques;
- Des mécanismes informels pour réduire ou éliminer l'incidence de la traite des êtres humains; et
- La rédaction des témoignages de traite humaine et de violence en arabe pour permettre aux autorités d’inciter les procédures de justice en faveur des victimes.
En tant que première priorité de
l'organisation, l'ISIA a mis au point des mécanismes efficaces pour identifier
et extraire les travailleurs domestiques abusés des situations de traite des
êtres humains. Le défi pour l'organisation est d'absorber les coûts de la
fourniture d'abris à ces femmes, qui restent souvent pendant des semaines ou
des mois avant que leurs passeports puissent être récupérés et les voyages de
retour organisés. Les coûts impliqués sont assumés de manière bénévole par
Hayat et Ismail, reflétant à la fois la précarité du travail domestique et la
difficulté d'établir une structure formelle pour représenter les travailleurs
sans papiers. La priorité la plus urgente est d'aider à obtenir d'autres
sources de financement pour le fonctionnement des opérations au quotidien et ses
autres prestations de services.
La sensibilisation aux droits des
migrants asiatiques pose le défi qu'un contrat d'emploi en tant que travailleur
domestique est actuellement peu susceptible d'être approuvé par le ministère du
travail – condition préalable à la demande de permis de séjour. Néanmoins,
étant donné que la législation régissant le travail domestique[4]
est entrée en vigueur le 2 octobre 2018, l'instauration de normes minimales
d'emploi doit être considérée comme une opportunité de sensibiliser à la fois
l'employeur et l'employé de leurs droits et obligations mutuels. Il s'agit
d'informations qui, avec un soutien assez limité, pourraient facilement être
rendues accessibles aux travailleurs domestiques asiatiques par le biais des
réseaux sociaux établis par l'ISIA.
Depuis la naissance de l'ISIA,
les agences de recrutement de travailleurs domestiques asiatiques ont souvent
tenté de discréditer et de miner le travail accompli par Hayat et son mari avec
des campagnes ciblées de désinformation et de diffamation. Il y a toutefois des
signes encourageants que ces agences pourraient être persuadés de trouver une
solution négociée, ou à défaut une solution amiable. Le soutien de médiateurs
expérimentés pourrait permettre à l'ISIA d'établir des mécanismes acceptables
en matière d'emploi pour les travailleurs domestiques asiatiques par le biais
d'un code de pratique qui permettrait de réduire ou même d'éliminer l'incidence
de la traite des êtres humains des travailleurs asiatiques employés au
Maroc.
Pour plus d'informations sur la
façon de soutenir ISIA, veuillez contacter Hayat Baraho au + 212 6 67 74 01 81,
ou par courriel à ass.isia2015@gmail.com.
Ce rapport a été rédigé par
Michael Schwaabe, directeur en développement international avec plus de 25 ans
d'expérience dans le soutien des droits des travailleurs et près de 10 ans
d'expérience spécifique de soutien des organisations de droits des travailleurs
migrants au Maroc. Michael peut être contacté par courriel à mschwaabe@gmail.com.