Friday, 1 February 2019

ISIA : l’action en faveur des travailleurs migrants asiatiques au Maroc


Ce rapport présente en détails le travail de l'association Instance de Solidarité avec les Immigrés Asiatiques (ISIA)[1] en faveur des travailleurs asiatiques migrants au Maroc, notamment leur plaidoyer et la mise en œuvre d'un réseau de soutien unique alors que leur emploi en tant que travailleurs du secteur domestique ou de service, couplé à un manque de statut d'immigration au Maroc, les rend particulièrement vulnérables à la traite des êtres humains et à d'autres formes d'exploitation. ISIA a réussi, malgré un climat adverse, à tenir les autorités nationales et internationales responsables de violations persistantes des droits de l'homme. En posant la question: pourquoi l'ISIA est-elle en mesure d'apporter un soutien efficace et pertinent aux personnes marginalisées, cette étude vise à faciliter la réflexion sur le point d’interaction entre les systèmes de migration et des organisations locales, et à explorer les types d'intervention qui pourraient davantage réduire, voire éliminer l'incidence de la traite des êtres humains au sein de cette population.

En utilisant Facebook et son application Messenger associée, ISIA a établi un réseau social par lequel les travailleurs asiatiques migrants géographiquement dispersés restent en contact les uns avec les autres en utilisant des langages familiers tels que l'anglais, l'indonésien ou le tagalog. Ce réseau permet aux victimes de l'exploitation flagrante d'être identifiées, conseillées, et de solliciter l'aide de l'ISIA – qui facilite leur sortie des foyers ou elles ont été abusées, qui offre un refuge pendant des semaines voir des mois au foyer de l'ISIA à Salé (la ville jumelle de Rabat, la capitale du Maroc), et qui formule un plaidoyer pour la récupération de leurs passeports, saisis par les employeurs. L’ISIA fournit aussi l'accès aux services locaux, nationaux et internationaux, y compris les services de police, de santé, et des services consulaires, y compris le rapatriement grâce à ses contacts avec l'Organisation Internationale pour les Migrations. Ces services sont fournis de manière bénévole, sans frais pour les victimes d'exploitation ou de traite des êtres humains. Il y a en moyenne entre 5 et 10 travailleuses migrantes hébergées au refuge de l'ISIA, qui ont fui des conditions de travail brutales, mais qui ne peuvent pas quitter le Maroc tant que leurs passeports ne sont pas resitués.

Le Maroc est un pays de destination pour les travailleurs migrants des pays asiatiques tels que l'Indonésie et les Philippines, dont les ressortissants n'exigent pas de visa pour entrer dans le pays. Le visa touristique permet des séjours de 3 mois. Les personnes séjournant plus longtemps doivent demander un titre de séjour, cependant aucun statut n’est prévu pour les travailleurs domestiques asiatiques. Toutefois, il existe une forte demande par les Marocains aisés pour les travailleurs domestiques asiatiques (ainsi que pour les chefs du secteur des restaurants) qui jouissent d’une excellente réputation (compétences en anglais). Cette demande, en l'absence d'un système réglementaire officiel régissant le travail des travailleurs migrants asiatiques, a généré la mise en place d’un système non réglementé par les autorités.

L’appel d’offre pour le travail domestique au Maroc se fait en ligne par le biais des réseaux sociaux où les travailleurs sont attirés par l'absence des frais d'agence qui sont généralement imposés par d’autres pays d’accueil plus réglementés comme Hong Kong ou Singapour. Le recrutement est assuré par des organismes sans statut juridique et sans conformité au code du travail marocain, qui facilitent leur sortie de pays, par exemple les Philippines, en leurs fournissant des documents falsifiés. Ensuite, le travailleur domestique se trouvent piégé dans son pays d’accueil puisque le passeport sont confisque soit par l’employeur, soit par l’agence, sous des prétextes fallacieux. Les travailleurs domestiques ne sont souvent même pas conscients qu’ils sont tombés dans un statut de migrants sans papiers.

Les employeurs marocains paient à l'agence des honoraires ainsi que les frais de voyage du travailleur. La pratique de tromper le travailleur domestique sur son droit au travail et son droit à conserver son passeport, ainsi que la pratique de non-paiement des salaires et les menaces de violence, rentrent dans la définition de la « traite des personnes » telle qu'elle est énoncée à l'article 3 (a) du Protocole Additionnel à la Convention des Nations Unies contre la Criminalité Transnationale Organisée Visant à Prévenir, Réprimer et Punir la Traite des Personnes[2]. Cette pratique est toutefois répandue et même tolérée par les autorités marocaines[3]. Pourtant, le paysage migratoire a évolué: en 2014, le Maroc a mis en œuvre une nouvelle politique sur l'asile et l'immigration, connue sous le nom de « nouvelle politique migratoire » (NPM), qui a permis de reconnaître officiellement des dizaines de milliers d'subsahariens jusque-là des migrants sans papiers.  En conséquence, le Maroc a été reconnu internationalement, et a accueilli la conférence intergouvernementale des Nations Unis pour l’adoption du Pacte mondial sur les migrations sûres, ordonnées et réguliers en 2018. Toutefois, l'absence continue de réglementation couvrant l'emploi des travailleurs domestiques asiatiques – qui demeurent sans papiers – reste un facteur négatif qui engendre la traite des êtres humains dans le pays.

ISIA a été fondée par Hayat Baraho et son mari Ismail El Ammari, deux professionnels de santé à l'hôpital de Salé. Parlant couramment anglais, Hayat a travaillée comme infirmière au Moyen-Orient où elle a été exposée pour la première fois aux difficultés des travailleurs migrants asiatiques.  Ayant déjà mené les efforts d'organisation des travailleurs domestiques asiatiques au sein d’un syndicat, Hayat a été particulièrement touchée par le traitement du gouvernement marocain réservé aux travailleurs domestiques asiatiques suite à l'introduction du NPM, leur statut restant extrêmement précaires et sans protections contre l'exploitation et la traite des êtres humains. En tant que ressortissant marocain avec un réseau solide de relations au sein de sa communauté, Hayat a pu obtenir des résultats qui auraient été impossibles à réaliser par le biais des travailleurs migrants asiatiques eux-mêmes. En tant que telle, l'ISIA facilite l'accès au transport vers le foyer d’accueil et les soins de santé, et signale les cas de traite des êtres humains aux autorités policières et judiciaires.

Depuis 2012, Hayat a facilité la restitution de dizaines de passeports confisqués et le rapatriement des victimes. En tant que femme, elle est en mesure d'établir une relation honnête et confiante avec la population principalement féminine de travailleurs domestiques asiatiques, et elles sont à leur tour en mesure de partager leurs expériences d'abus et d'exploitation qui, autrement, resteraient étouffés. En tant que leader, Hayat maintient un accès direct aux personnes influentes dans les structures institutionnelles du Maroc, y compris la CNDH, les ministères et les ambassades, ainsi que le mouvement syndical.

L'ISIA est à un stade critique et l'organisation a besoin d'un soutien pour développer: 
  1. La prestation de services pour les cas d'abus et de traite des êtres humains; 
  2. La sensibilisation et protection des droits de l'homme des travailleurs domestiques asiatiques; 
  3. Des mécanismes informels pour réduire ou éliminer l'incidence de la traite des êtres humains; et 
  4. La rédaction des témoignages de traite humaine et de violence en arabe pour permettre aux autorités d’inciter les procédures de justice en faveur des victimes.

En tant que première priorité de l'organisation, l'ISIA a mis au point des mécanismes efficaces pour identifier et extraire les travailleurs domestiques abusés des situations de traite des êtres humains. Le défi pour l'organisation est d'absorber les coûts de la fourniture d'abris à ces femmes, qui restent souvent pendant des semaines ou des mois avant que leurs passeports puissent être récupérés et les voyages de retour organisés. Les coûts impliqués sont assumés de manière bénévole par Hayat et Ismail, reflétant à la fois la précarité du travail domestique et la difficulté d'établir une structure formelle pour représenter les travailleurs sans papiers. La priorité la plus urgente est d'aider à obtenir d'autres sources de financement pour le fonctionnement des opérations au quotidien et ses autres prestations de services.

La sensibilisation aux droits des migrants asiatiques pose le défi qu'un contrat d'emploi en tant que travailleur domestique est actuellement peu susceptible d'être approuvé par le ministère du travail – condition préalable à la demande de permis de séjour. Néanmoins, étant donné que la législation régissant le travail domestique[4] est entrée en vigueur le 2 octobre 2018, l'instauration de normes minimales d'emploi doit être considérée comme une opportunité de sensibiliser à la fois l'employeur et l'employé de leurs droits et obligations mutuels. Il s'agit d'informations qui, avec un soutien assez limité, pourraient facilement être rendues accessibles aux travailleurs domestiques asiatiques par le biais des réseaux sociaux établis par l'ISIA.

Depuis la naissance de l'ISIA, les agences de recrutement de travailleurs domestiques asiatiques ont souvent tenté de discréditer et de miner le travail accompli par Hayat et son mari avec des campagnes ciblées de désinformation et de diffamation. Il y a toutefois des signes encourageants que ces agences pourraient être persuadés de trouver une solution négociée, ou à défaut une solution amiable. Le soutien de médiateurs expérimentés pourrait permettre à l'ISIA d'établir des mécanismes acceptables en matière d'emploi pour les travailleurs domestiques asiatiques par le biais d'un code de pratique qui permettrait de réduire ou même d'éliminer l'incidence de la traite des êtres humains des travailleurs asiatiques employés au Maroc. 

Pour plus d'informations sur la façon de soutenir ISIA, veuillez contacter Hayat Baraho au + 212 6 67 74 01 81, ou par courriel à ass.isia2015@gmail.com.  

Ce rapport a été rédigé par Michael Schwaabe, directeur en développement international avec plus de 25 ans d'expérience dans le soutien des droits des travailleurs et près de 10 ans d'expérience spécifique de soutien des organisations de droits des travailleurs migrants au Maroc. Michael peut être contacté par courriel à mschwaabe@gmail.com.   

ISIA’s support of Asian Migrant Workers in Morocco


This report examines the work of Instance de Solidarité avec les Immigrés Asiatiques (ISIA)[1] in representing and providing a unique safety net for Asian migrant workers whose employment as domestic- or service-sector workers, coupled with a lack of a formal immigration status in Morocco, renders them especially vulnerable to human trafficking and other forms of exploitation. The fact that ISIA has been successful, against the odds, in holding national and international authorities accountable to persistent human rights violations, suggests that ISIA’s work is an example of success against the odds. In posing the question: why is ISIA able to provide effective support to marginalised persons, this study aims to facilitate reflection on where systems of migration and local organising interact, and explore the types of intervention that could support further reductions, and possibly eliminate, the incidence of human trafficking amongst this population. 

Using Facebook and its associated Messenger app, ISIA has established a social network through which geographically dispersed migrant Asian workers remain in contact with one another using familiar languages such as English, Indonesian or Tagalog. This network allows victims of gross exploitation to be identified, counselled and seek help from ISIA – including rescue from abusive employers, providing refuge for weeks or even months at ISIA’s shelter in Salé (the twin city to Rabat – Morocco’s capital), advocacy in recovering seized passports from employers, and support in accessing local, national and international services, including the Police, hospitals, consular services, as well as repatriation through the International Organisation for Migration. These services are provided benevolently, with no charge to the victims of exploitation or human trafficking. At any given moment in time, there are between 5 and 10 women migrant workers living at the ISIA shelter, who have fled brutal working conditions, but cannot leave the country until such time as their passports can be recovered from their employers.

Morocco is a destination country for migrant workers from Asian countries such as Indonesia and the Philippines, whose nationals do not require a visa to enter the country. Tourist entry allows for stays of up to 3 months. Persons staying longer than this need to apply for an appropriate form of official residency, but there is no such category available for domestic workers. There is a high demand from wealthy Moroccans for Asian domestic workers (as well as for chefs in the restaurant sector) who have an excellent reputation (and English language skills). This, coupled with the absence of an official regulatory system governing the work done by Asian migrant workers, has allowed an unregulated system to develop.

Advertisement for domestic work in Morocco happens online through social networks where workers are attracted by the lack of an agency fee which is typically imposed by more regulated markets for Asian domestic workers such as Hong Kong or Singapore. Recruitment is handled by agencies without any legal status under the Moroccan Labour Code, and who facilitate the worker’s exit from countries such as the Philippines by providing false documentation. The domestic worker is then often trapped with the employer in the host country since the worker’s identity documents are retained either by the agency or by employer. The domestic workers are frequently unaware of their own status as undocumented migrants.

Moroccan employers typically pay the agency a fee as well as the worker’s travel costs. The practice of deceiving the domestic worker regarding their right to work and then retaining their passport, when coupled with exploitative employment practices such as non-payment of wages or abusive working conditions would meet the definition of “trafficking in persons” as set out in Article 3(a) of the United Nation’s Protocol to Prevent, Suppress and Punish Trafficking in Persons[2]. This practice is however widespread and even condoned by the Moroccan authorities[3]. Yet the landscape of migration has been evolving: in 2014, Morocco implemented a new policy on asylum and immigration known as the ‘nouvelle politique migratoire’ (NPM) resulting in the formal recognition of tens of thousands of hitherto undocumented sub-Saharan migrants.  As a result, Morocco gained significant international recognition as seen by the country’s recent hosting of the United Nation’s adoption of Global Compact for Safe, Orderly and Regular Migration in 2018. However, the ongoing absence of regulation covering the employment of Asian domestic workers – who remain undocumented – remains a significant facilitating factor of human trafficking in the country.

ISIA was founded by Hayat Baraho and her husband Ismail El Ammari, both health care professionals with the Sale hospital. A fluent English speaker, Hayat previously worked as a nurse in the Middle East where she also came into contact with the difficulties experienced by migrant workers from Asia.  Having previously led the efforts to organise Asian domestic workers within a union, Hayat was particularly affected by the government of Morocco’s treatment of Asian domestic workers following the introduction of the NPM, whose status and protections barely changed and who remain extremely vulnerable to exploitation and human trafficking. As a Moroccan national with a strong network of relationships within the community, Hayat can achieve outcomes unavailable to most Asian migrant workers. As such ISIA facilitates transport to the shelter and access to health care services, as well as reporting incidents of human trafficking to the Police and Judicial authorities.

Since 2012, Hayat has successful recovered dozens of sequestered passports thus facilitating the repatriation of the victims. As a woman, she is able to establish an honest and trusting relationship with the mainly female population of Asian domestic workers, and they in turn are able to share their stories of abuse and exploitation which otherwise would remain untold. As a leader, Hayat has direct access to influencers within Morocco’s institutional structures, including the CNDH, government ministries and embassies, as well as the trade union movement.

ISIA is at a critical juncture and the organisation needs support to develop:
  1. Service provision for cases of abuse and human trafficking; 
  2. Awareness and protection of the human rights of Asian domestic workers;
  3. Informal mechanisms to reduce or eliminate the incidence of human trafficking; and
  4. Preparation of witness statements in Arabic to allow the authorities to initiate judicial proceedings on behalf of the victims of human trafficking and violence.
As the organisation’s first priority, ISIA has developed effective mechanisms to identify and extract abused domestic workers from situations of human trafficking and abuse. The challenge for the organisation is absorbing the costs of providing shelter to these women, who often remain for weeks or months before their passports can be recovered and return travel organised. The costs involved are benevolently borne by Hayat and Ismail, reflecting both the precarious nature of domestic work and the difficulty of establishing a formal structure to represent undocumented workers. Help in securing other sources of funding for ISIA’s daily operation and service provision is the most urgent priority.

Building awareness of the rights of Asian migrants presents the challenge that a contract for employment as a domestic worker is currently unlikely to be approved by the Ministry of Labour – a prerequisite to applying for a residency permit. Nonetheless, since legislation regulating domestic work[4] came into force on 2 October 2018, the establishment of legally enforceable minimum standards of employment should be seen as an opportunity to educate both employer and employee of their mutual rights and obligations. This is information which, with quite limited support, could easily be made accessible to Asian domestic workers via the social networks established by ISIA.

Over the years that ISIA has been operating, the recruitment agencies of Asian domestic workers have frequently attempted to discredit and undermine the work done by Hayat and her husband with targeted campaigns of misinformation and smears. There are however encouraging signs that these agencies might be persuaded to find a negotiated solution, or failing that a BATNA[5]. Support from experienced mediators could allow ISIA to establish employment arrangements for Asian domestic workers through a code of practice or similar mechanism that would help reduce or even eliminate the incidence of human trafficking among Asian domestic workers in Morocco. 

For more information about how to support ISIA, please contact Hayat Baraho on + 212 6 67 74 01 81, or by email at ass.isia2015@gmail.com.

This report was authored on 26 January 2019 by Michael Schwaabe, a development manager with over 25 years of experience working in support of workers’ rights and close to 10 years specific experience of supporting migrant worker rights organisations in Morocco. Michael can be contacted by email at mschwaabe@gmail.com.


[1] www.facebook.com/ISIAsian/
[3] Author interview, 22 Feb 2017
[5] Best Alternative To A Negotiated Agreement, Fisher and William (1981)

Virtual Organising: A Pathway to Collective Power?

The idea behind this conceptual research paper arose from a collaboration with Volunteer Activists for whom I had organised online training ...